Enceinte contre le système

Encore une "Baby Battle"

Posted by Viviane on January 17, 2022
Academia Diversity Motherhood

Article également publié sur Hypothèse

On pourrait penser qu’un institut aussi prestigieux que le CNRS est à la pointe sur la question de l’égalité homme / femme. On pourrait espérer qu’il soit pionnier et leader, montrant l’exemple à la fois aux secteurs publics et privés. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas.

Contrairement aux posts précédents, j’ai décidé d’écrire en français. En effet, cet article concerne de façon plus spécifique la loi française, avec même des subtilités de langage, et les institutions françaises. J’utilise donc ma propre langue pour le rendre plus accessible à la communauté universitaire française.

De façon tout à fait fortuite, j’ai découvert l’histoire de plusieurs jeunes femmes ayant réussi le prestigieux concours de chargée de recherche au CNRS alors qu’elles étaient enceintes. J’ai appris qu’il existait une loi spécifique à l’obtention des concours de la fonction publique en étant enceinte. Et surtout, j’ai été choquée par les conditions de prises de poste qu’ont dû subir ces jeunes femmes. Je vous partage ici à la fois mes découvertes, mon indignation et le sens de ce combat dans le milieu de la recherche.

La loi

Vous connaissez sans doute les concours de la fonction publique française avec leurs qualités (égalité de traitement, uniformité du recrutement) et aussi leurs défauts (rigidité tendant parfois à l’absurde). Cette rigidité qui doit garantir l’uniformité et l’égalité théorique a parfois pour conséquences des inégalités très concrètes comme quand les candidats des départements hors métropole doivent passer des épreuves de concours à des heures absurdes pour traiter les mêmes sujets (et au même moment) que ceux du fuseau horaire principal.

On retrouve cette rigidité dans l’ensemble de la fonction publique et en tant qu’agente de cette fonction publique, maîtresse de conférences titulaire (donc sur concours), je m’arrache souvent les cheveux dans des imbroglio administratifs, cherchant à maintenir un cap cohérent et humain dans une mer de bureaucratie.

En effet, les règles nationales qui doivent s’appliquer à tous et toutes ont parfois du mal à prendre en considération tous les cas particuliers que sont les très nombreux agents et agentes du service public. Comment faire par exemple lorsqu’une femme a réussi le fameux concours et qu’elle est enceinte ? Comment peut-elle prendre son poste alors que cela tombe, par exemple, en plein dans son congé maternité ? Eh bien, il se trouve que ce cas particulier précis a été pris en compte. (Oh miracle !)

Voici le texte du Décret n°94-874 du 7 octobre 1994 fixant les dispositions communes applicables aux stagiaires de l’Etat et de ses établissements publics

La nomination en qualité de fonctionnaire stagiaire d’une femme qui, ayant satisfait à l’une des procédures de recrutement prévues aux articles 19 et 26 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée, se trouve en état de grossesse est reportée, sur la demande de l’intéressée, sans que ce report puisse excéder un an.

Il est donc possible pour une femme enceinte de reporter sa prise de poste si elle le souhaite. Elle n’y est pas obligée. Par exemple, si son accouchement est prévu un peu plus tard, elle peut tout à fait prendre son poste et bénéficier de son congé. Mais cette possibilité de report lui donne une certaine flexibilité bienvenue.

Je n’ai aucune idée du contexte dans lequel cette loi a été écrite. Elle date de 1994, sous le gouvernement de Balladur. J’ai une pensée pour ce ou cette députée ou peut-être assistant-e parlementaire qui a pensé à ajouter cet article, qui s’est rappelé que “être enceinte” était une situation en réalité tout à fait courante et normale et que cela devait être pris en considération dans la loi.

Cependant, bien que je sois moi-même agente du service public, entourée de nombreux autres agents et agentes que ce soit mes collègues universitaires ou mes amis profs, je n’avais jamais entendu parler de cette loi avant cet automne. J’ai l’impression que cette loi est assez méconnue et que de nombreuses agentes n’en ont pas connaissance alors même qu’elles auraient pu en bénéficier. Et j’ai même des indices qui me laissent penser que les institutions elles-mêmes ne la connaissent pas toujours.

On pourrait penser qu’un institut aussi prestigieux que le CNRS et qui a mis en place différentes actions pour diminuer les inégalités hommes / femmes et donner aux femmes scientifiques la place qu’elles méritent, est à la pointe sur cette question. On pourrait penser que le CNRS soit pionnier et leader, montrant l’exemple à la fois aux secteurs publics et privés, non seulement en appliquant la loi mais en soutenant au maximum ses nouvelles agentes. C’est ce que je voudrais en tant que chercheuse. Je ne suis pas moi-même agente permanente du CNRS mais il est une figure incontournable du paysage de la recherche française. C’est pour ça que les témoignages ci-dessous m’ont particulièrement déçue et mise en colère et que j’ai décidé de les partager.

L’histoire de $X$

$X$ est une chercheuse. Elle a obtenu le concours CNRS il y a quelques années. A l’époque, elle était postdoc au Canada, déjà maman d’une petite fille et enceinte d’un second enfant. Elle est heureuse, heureuse d’avoir réussi ce concours particulièrement sélectif, heureuse d’avoir une perspective d’avenir stable dans la recherche. Elle est aussi surprise, elle ne s’y attendait pas. Les résultats du concours arrivent à la fin du printemps, la prise de poste en octobre. $X$ doit accoucher en novembre. Elle avait prévu de s’installer dans une nouvelle ville (toujours au Canada) pour profiter de ses 32 semaines de congé maternité fédéral (contre 16 en France). Son compagnon a un poste là bas. Alors, $X$ demande : est-il possible de repousser sa prise de poste d’un an ?

Encore une fois, $X$ est très heureuse d’avoir obtenu ce poste. Elle est tout à fait prête à s’installer en France avec sa famille, elle a juste besoin d’un peu de temps. On parle ici d’un poste à vie pour faire de la recherche, un an de plus ou de moins, ça ne change pas grand chose.

La réponse du CNRS arrive : non, ce n’est pas possible. Les règles du CNRS autorisent un report de poste jusqu’au 1er février au maximum. $X$ est un peu dépitée. Non seulement la réponse est négative mais il n’y a pas beaucoup de sympathie pour sa situation personnelle. On ne lui propose aucune solution alternative. Au mois de février, elle aura un bébé de quelques mois, on sera en milieu d’année scolaire pour sa fille, son compagnon pourra difficilement quitter son travail. Elle se renseigne : peut-elle être affectée temporairement dans l’unité internationale du CNRS qui se trouve justement là où elle est ? Non. Elle demande si elle peut prendre un congé pour suivi de conjoint ? Peut-être un congé parental ? Ce sont des choses auxquelles elle a le droit. On lui répond “non”, ou alors on ne lui répond pas du tout. Dans ces échanges, elle sent une certaine lassitude de l’institution. Elle a l’impression d’être embêtante , demandeuse. Elle finit par abandonner.

Retournement de situation en septembre. Le CNRS contacte $X$. Il se trouve que finalement le report est possible. Quelqu’un, quelque part, a découvert la loi. $X$ est bien une femme qui, ayant satisfait à un procédure de recrutement, se trouve dans un état de grossesse. Le report d’un an est de droit. Alors, que ce soit par acquis de conscience, crainte de répercutions, honnêteté intellectuelle, conscience professionnelle, sympathie ou autre, le CNRS revient de lui-même sur sa décision et accorde le report à $X$ qui découvre par cette occasion l’existence de cette loi la concernant.

Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Au printemps, $X$ visite son futur labo en France pour préparer son arrivée prochaine. Mais tout n’est pas si rose. $X$ est très contente d’avoir eu son report mais, en vérité, ça l’arrangerait d’avoir un peu plus de temps. Elle n’est pas sûre que son compagnon puisse la suivre en France. Elle ne sait pas comment elle va faire garder ses enfants. Et côté recherche, elle ne perd rien en restant là où elle est car elle a plusieurs projets en cours avec des équipes canadiennes. Pour sa recherche et pour sa vie familiale, il serait plus intéressant de rester encore un peu. Légalement, il existe des solutions. Une direction conciliante aurait pu l’affecter temporairement à l’unité internationale, même si cela est habituellement réservé aux titulaires avec plus d’ancienneté. (La première année, on n’est pas encore titulaire, on est “stagiaire”). Le congé parental est de droit, la disponibilité pour suivi de conjoint aussi. Mais quand elle évoque, timidement, ces possibilités, elle sent de la réticence. On lui dit qu’elle a déjà bien irrité l’institution avec son report. On lui dit qu’elle ne devrait pas trop faire de vagues. On la soupçonne de “garder son poste au chaud” mais de lorgner sur d’autres opportunités professionnelles.

En réalité, $X$ ne lorgne sur rien. Elle essaie de concilier sa vie de mère de deux jeunes enfants et ses ambitions de chercheuses. $X$ a peur de perdre son poste. Elle ne fait pas valoir ses droits et prend son poste à la date prévue. Sur l’organisation, elle a hésité. Finalement, sa famille est restée au Canada et elle venue seule en France. Ils se “débrouillent”, elle obtient des missions là bas, ils oscillent entre les deux pays. C’est épuisant. Elle avait sous-estimé à quel point. Elle doit parfois quitter ses enfants de longues semaines alors qu’elle allaite encore son fils. J’ai discuté directement avec $X$ et je pouvais sentir à quel point cette période avait été difficile. Elle rencontre évidemment des gens qui sympathisent avec sa situation et essaient de l’aider. Mais elle rencontre aussi des soupçons de la part de l’institution. Il y a parfois des questions, très intrusives : où est $X$ ? Est-elle bien en France ? Où sont ses enfants ? On arrive à ce moment au printemps 2020 et il y aura en particulier des questions de ce genre au moment du fameux confinement, laissant entendre qu’elle aurait pu en profiter pour s’enfuir au Canada. En vrai, à ce moment là, sa famille se trouve en France. Ce qui pour beaucoup de chercheurs et encore plus de chercheuses (moi compris) a été une période très compliquée est en fait un soulagement pour $X$ car les voyages s’arrêtent enfin.

Finalement, $X$ est bien restée au CNRS. Sa famille l’a rejointe en France. Plus tard, ils sont tous repartis au Canada et $X$ a été affectée (temporairement) à l’unité internationale où elle a pu continuer à mener ses projets. Mais ce qui aurait dû être un début carrière serein a été transformé en galère. Elle n’a pas été écoutée, pas été soutenue pas son institution. On a évoqué le report qu’elle a finalement obtenu comme une fleur alors qu’il s’agissait d’un droit.

L’histoire de $Y$

Alors que je partage l’histoire de $X$ (et mon indignation) sur les réseaux sociaux, je découvre qu’une autre jeune femme est dans une situation similaire ! $Y$ a aussi obtenu le concours en étant enceinte. C’était au printemps 2021. Elle aussi est en postdoc à l’étranger. Elle aussi a déjà un autre enfant. Il est impossible de prendre son poste en octobre car elle viendra tout juste d’accoucher. Elle n’envisage pas de déménager en cours d’année : deux jeunes enfants dont un nouveau né, pas de mode de garde, ça lui semble une entreprise risquée et inutile. Inutile, car elle a de très bonnes conditions de postdoc là où elle est, qui lui permettront d’avoir sereinement son enfant et de continuer son travail de recherche, de terminer les projets qu’elle a interrompu pendant son congé maternité. Tout comme $X$, $Y$ est très heureuse d’avoir ce poste. Le labo en France où elle est affectée lui convient. Mais, encore une fois, on parle d’un poste à vie. Prendre son poste dans un an lui permettra de commencer sa carrière dans de bien meilleures conditions, de prendre en considération l’impact d’un nouvel an dans sa vie de chercheuse.

$Y$ est dans la même section que $X$. Quand elle commence à se renseigner pour un report, la loi est mentionnée ainsi que le nom de $X$ qui en a bénéficié. Mais très vite, une réponse négative arrive. La situation est différente : le bébé de $Y$ est prévu en septembre alors que celui de $X$ devait naître en novembre, soit après la nomination théorique du 1er octobre. Le CNRS considère que le report n’est possible que si l’agente est enceinte au 1er octobre.

La loi prévue pour protéger les femmes enceintes pourrait donc ne pas s’appliquer à une femme qui vient littéralement d’accoucher ? Une femme qui ne peut donc pas physiquement prendre son poste en octobre ? Cela semble étrange et contre-intuitif. Sur quoi se base le CNRS ? Cette réponse, je ne l’ai pas.

J’ai lu et relu et rerelu le texte. Il n’est pas directement explicite sur “à quel moment” la femme doit être en “état de grossesse” pour bénéficier de la loi. Il y a cependant un groupe nominal avec proposition subordonnée : “une femme qui, ayant bla bla bla, se trouve en état de grossesse” et la proposition principale : “La nomination de (groupe nominal) est reportée”. Le “se trouve en état de grossesse” réfère bien à “une femme ayant satisfait à l’une des procédures de recrutement”. Il n’est écrit NULLE PART que cet “état de grossesse” doit être constaté au moment de la nomination théorique. D’ailleurs, quand on y pense, cette règle est inapplicable. En effet, imaginons une femme dont l’enfant doit naître début octobre. Comme elle est théoriquement enceinte au 1er octobre, son report lui est accordé. Mais alors, si son enfant naît quelques semaines plus tôt, est-ce que le report promis lui est ensuite refusé ? (En vrai, ça ne m’étonnerait pas tellement vu le degré d’absurdité).

Je ne suis pas juriste, $Y$ non plus, $X$ non plus. Au départ, $Y$ ne questionne pas la décision. Après discussion avec $X$ et moi, elle cherche à se renseigner. Elle demande l’avis d’un juriste. Le juriste va dans notre sens : l’interprétation du CNRS est erronée. $X$, $Y$ et moi contactons plusieurs personnes au CNRS et ailleurs pour attirer l’attention sur sa situation absurde. La réception est mitigée. Nous rencontrons parfois de la sympathie, parfois du soutien, parfois de l’indifférence. Et la situation administrative n’évolue pas. La veille des vacances de Noël, $Y$ reçoit un mail assez froid et agacé lui indiquant que son report est impossible. De façon assez absurde, on lui donne maintenant comme argument qu’elle ne sera plus enceinte au 1er février (date à laquelle elle a repoussé sa nomination), elle ne peut donc pas bénéficier de la loi.

Alors que je discute de cette situation avec d’autres chercheurs et chercheuses, j’entends des arguments comme : c’est une loi qui concerne l’ensemble de la fonction publique, le CNRS ne peut pas prendre une décision de façon unilatérale. Il faut être faut très prudent s’il y a possibilité de contester juridiquement, le concours entier peut être annulé. Alors, certes mais dans ce cas, il aurait fallu une réponse argumentée du CNRS, faisant référence par exemple à l’application de la loi ailleurs dans le CNRS et ailleurs dans la fonction publique. Ça n’a jamais été le cas. Au contraire, $Y$ a reçu très peu d’arguments, la lettre du juriste a été ignorée, jamais il n’a été fait référence à une décision plus globale du périmètre de la loi. Et pourquoi le risque n’existe-t-il que dans un sens ? Si la décision d’accepter ou non le report est contestable, n’y-a-t-il pas un risque pour le CNRS et pour le concours dans le cas où le CNRS refuse le report ? Que faire contre l’arbitraire d’une décision interne sur laquelle on ne nous donne aucun détail et qui semble aller contre la loi existante ?

Rappelons que $Y$ n’a pas encore son poste. Tout comme $X$ avant elle, elle a peur de faire des vagues, peur de perdre son poste ! Elle ne sait pas à qui s’adresser. Elle se sent coupable de demander ce report, comme une faveur, alors qu’en réalité, elle ne cherche qu’à faire appliquer ses droits.

Aujourd’hui, à quelques semaines de sa prise de poste, il est trop tard pour un report. Cependant, nos gesticulations n’auront pas été inutiles. Le CNRS, prenant en partie conscience de la situation, discute avec $Y$ pour trouver des solutions. On lui a par exemple proposé une affectation à l’étranger (ce qui avait été refusé à $X$). Mais $Y$ a envie, scientifiquement, de prendre son poste en France dans le labo où elle a été affectée (et qui est d’ailleurs sensible à sa situation), elle a prévu de déménager avec toute sa famille l’été prochain. On lui propose aussi d’autres bricolages qui lui permettront de rester avec sa famille pour la fin de l’année. On peut noter tout de même l’évolution positive depuis le cas de $X$. Mais, dans la plupart des cas, cela ne pourra être mis en place qu’après la nomination effective avec une échelle de temps floue. $Y$ va devoir se rendre en France pour “un certain temps”. Elle pense voyager avec son bébé mais n’aura aucun mode de garde. En perdant son poste actuel, elle complique aussi sa situation administrative dans cet autre pays. Elle perd l’avantage d’un salaire plus élevé plusieurs mois avant ce qui aurait du se faire (elle touche plus en tant que postdoc que ce qu’elle aura au CNRS). Rappelons aussi que tout ça a lieu au milieu d’une pandémie avec des règles et des restrictions qui changent tout le temps et ne sont pas les mêmes en fonction des pays. $Y$ a des peurs très concrètes : voir son poste annulé car son voyage est reporté, se trouver coincée loin de sa famille pour un temps indéterminé, etc.

Comme dans le cas de $X$, ce qui aurait dû être un début de carrière serein se transforme en un imbroglio. Durant son congé maternité, $Y$ aura dû échanger des mails avec sa prochaine direction, chercher l’aide d’un juriste, rester dans l’incertitude quant à sa situation. En février, elle devra non seulement faire face aux difficultés de tout nouveau parent cherchant à concilier vie familiale et professionnelle mais devra le faire entre deux pays dans des conditions compliquées. Cela aura un impact en particulier sur ses possibilités de faire de la recherche, comme des bâtons supplémentaires que l’on met dans ses roues.

L’histoire de $Z$

C’est en parlant des cas de $X$ et $Y$ que j’ai découvert qu’une chercheuse avec qui j’avais déjà un peu échangé avait vécu une situation similaire. Tout comme $X$ et $Y$, $Z$ a obtenu le concours CNRS il y a peu alors qu’elle était enceinte. La naissance de son bébé étant prévue début octobre, elle se renseigne donc pour savoir quelles sont ses possibilités de report de sa nomination. Tout comme $X$ et $Y$, elle préférerait avoir un peu plus de temps et ne pas arriver en cours d’année avec un nouveau né. Je n’ai pas les détails exacts des échanges mais ce que m’a confirmé $Z$ c’est qu’à aucun moment, la loi, et donc la possibilité de reporter sa nomination d’un an n’a été évoquée. La date la plus tardive possible qui lui est proposée est le 1er février (comme pour tout le monde).

Au final, $Z$ a pris son poste au 1er février et a bénéficié d’un congé parental. Il a tout de même fallu consulter le service juridique. $Z$ a fait sa demande en décembre, le CNRS a fait preuve de souplesse car normalement il y a 3 mois de délais. Peut-être que même si elle avait eu connaissance de la possibilité du report, $Z$ aurait choisi de prendre le congé parental qui offre certains avantages. Cependant, elle aurait dû avoir le choix. Elle aurait dû être informée de cette possibilité. Et encore une fois, j’ai l’impression que ce qui devrait être un accompagnement normal est perçu comme une faveur.

$Z$ n’était pas dans la même section que $X$ et $Y$. Je pense que si on ne lui a pas parlé de cette possibilité de report, c’est parce que la personne en charge n’en avait pas connaissance, comme lors du refus initial que $X$ a essuyé. Cela me confirme dans l’idée que cette loi est mal connue et mal appliquée. Cela me laisse aussi penser que la décision de refuser le report à $Y$ n’était pas du tout une décision concertée et réfléchie mais bien une interprétation locale de la loi.

And so what?

Pourquoi est-ce que je raconte ces 3 anecdotes ? Au delà de l’indignation que j’ai ressentie face ces histoires et aux difficultés qu’ont rencontrées ces chercheuses, elles illustrent pour moi un problème plus profond. Encore une fois, la maternité est vu comme un “cas particulier”, une sorte d’embêtement, de grain dans le système. Alors même qu’il existe une loi spécifique, la loi est ignorée, mal appliquée, restreinte. On bricole des solutions au cas par cas en ignorant ce qui s’est fait ailleurs. Les chercheuses ne sont pas informées de leurs droits. Là où elles devraient être accompagnées, soutenues, accueillies, elles se sentent au contraire coupable d’avoir osé avoir un enfant l’année où elles ont passé le concours. (Note : on passe souvent le concours plusieurs années de suite, souvent vers la trentaine). D’autres, ayant vécu des situations similaires au CNRS ou ailleurs, décideront peut-être de renoncer au concours, de ne pas se présenter. Certaines quitteront peut-être la recherche. $X$, $Y$ et $Z$ ont décidé de rester. C’est une chance pour le CNRS. Ce sont des chercheuses brillantes. Ce ne sera pas toujours le cas. Si on traite les chercheuses de cette façon, elles iront voir ailleurs. Si on refuse à une jeune femme le report nécessaire à sa prise de poste dans de bonnes conditions, elle saisira une autre opportunité. La France souhaite être “compétitive” ? Et bien, elle le serait plus si elle traitait mieux ses chercheuses.

Rappelons nous que nous héritons d’un système basé sur un modèle qui excluait les femmes (et beaucoup d’autres). L’idée est encore présente qu’on devrait être “bien contente” d’être là, que c’est à nous de nous adapter, d’effacer autant que possible notre vie en dehors de la science qui ne devrait pas interférer. C’est le modèle masculin à l’ancienne de l’homme pour qui la vie familiale n’est pas une contrainte (car gérée par l’épouse dévouée). Ce modèle perdure encore aujourd’hui, il est ancré dans notre système, dans nos réactions, dans nos jugements, dans nos habitudes.

Concrètement, ce modèle continue de creuser les inégalités. Dans le cas de $X$ et $Y$, leur début de carrière aura été beaucoup plus compliqué que ça n’aurait dû. On sait justement que la maternité est un point charnière dans les inégalités d’évolutions de carrière. Ce n’est pas spécifique à la parentalité (les pères ne subissent pas pareillement ces difficultés), c’est spécifique à notre modèle de société et à notre système. Mais ce n’est pas non plus une fatalité.

Les solutions ne sont pas toujours simples, on se heurte parfois à des difficultés importantes d’organisation, de coût ou autre. Par exemple, le report de prise de poste est compliqué à mettre en place (mais pas impossible) dès qu’il y a des besoins immédiats à combler. Ce n’est cependant pas le cas au CNRS. Au CNRS, justement, il y a la possibilité d’avoir une plus grande flexibilité individuelle. Et plus les besoin des individus, hommes ou femmes, seront pris en considération, plus la qualité de vie des agents et agentes sera amélioré et plus les inégalités diminueront, et plus l’institution pourra bénéficier d’une recherche de qualité portée une grande variété d’agent et d’agentes et non plus seulement ceux qui collent à l’ancien modèle.

Le CNRS se targue de lutter contre les inégalités. J’accepte régulièrement de participer à des actions diverses et variées mettant en avant les femmes scientifiques : j’y consacre du temps et de l’énergie. Mais ces actions ne sont qu’une couche superficielle. Tant qu’il n’y aura pas une prise de conscience de fond et une vraie réflexions sur les pratiques et les mentalités associées, les choses ne pourront pas vraiment évoluer. Une première étape serait d’appliquer la loi et d’accompagner les chercheuses dans l’application pleine de leurs droits, non pas comme une faveur mais comme venant de soi, car elles sont des membres à part entière de l’institution.